La caravane BD « Le chant du monde » en tournée dans toute la région
Written by ADMINTECH on mercredi 12 février 2020
Rencontre avec Jacques Ferrandez, célèbre auteur de BD qui a su adapter avec talent Le chant du Monde de Giono.
Après Carnets d’Orient et les écrits d’Albert Camus, c’est au tour du Chant du monde d’être adapté par le célèbre auteur de bande dessinée Jacques Ferrandez. Un bel hommage 50 ans après sa mort, qui va se poursuivre tout au long de l’année 2020 grâce à la tournée de la caravane BD « Le chant du monde », proposée par la Région Sud, la régie culturelle et l’Arcade. A l’occasion de la 1re escale de la caravane au Mucem le 10 février 2020, Jacques Ferrandez est venu présenter au public son travail d’adaptation de cette belle épopée lyrique, véritable chant d’amour pour l’arrière-pays provençal.
Jacques Ferrandez, qu’est-ce qui vous a amené à la bande dessinée ?
Lorsque j’ai commencé ce métier, j’étais étudiant à l’école des arts décoratifs à Nice, en arts plastiques et arts graphiques. Très vite j’ai fait des rencontres dans le milieu de la bande dessinée qui m’ont permis d’être publié dès avril 78, dans le 4e numéro de la revue « A suivre ». C’était il y a un peu plus de 40 ans. Depuis, ça ne s’est jamais arrêté. Je me suis beaucoup intéressé à différents sujets qui ont en général en commun la Méditerranée, comme l’Algérie où je suis né, que l’on retrouve dans les Carnets d’Orient et mes adaptations de Camus, et la Provence où j’ai grandi. Mon premier album, Arrière-Pays, était déjà presque un hommage, en référence à des auteurs que j’ai ensuite été amené à adapter, comme Pagnol ou Giono. C’était une sorte de BD reportage. Aujourd’hui, je reviens vers Giono et cette Provence de mon enfance.
Tout au long de votre parcours, vous avez travaillé à partir d’œuvres de grands auteurs. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce travail d’adaptation, qu’est-ce qui vous nourrit en tant que dessinateur ?
Avant d’être auteur et dessinateur, je suis lecteur, donc le texte me nourrit depuis longtemps. Lorsque je travaille avec des auteurs vivants, ce sont vraiment de superbes rencontres. Quand ils ne sont plus là, j’essaye de rentrer dans l’œuvre et d’en faire une transposition, d’en proposer une version qui va peut-être toucher un public différent, qui n’aurait peut-être pas été vers l’œuvre originale. A chaque fois qu’on me dit ‘grâce à vous j’ai lu Giono, Camus’, je trouve que c’est formidable ! C’était le but. J’aime aussi alterner le travail d’auteur et d’adaptation car ce sont deux types de création différentes, qui me permettent de me renouveler, de m’équilibrer. Quand je suis auteur, je suis seul maître à bord. Lorsqu’il s’agit d’un travail d’adaptation, j’essaye d’être le plus fidèle possible à l’auteur et à l’œuvre mais aussi à l’ensemble des perceptions et sentiments que j’ai eu à la lecture de ces œuvres.
Pourquoi avez-vous choisi de travailler sur Le chant du monde ?
En général, c’est moi qui décide de travailler sur une œuvre, sur un auteur. Pour Camus par exemple, cela faisait très longtemps que je voulais travailler sur ses œuvres. Pendant longtemps cela n’a pas été possible. Et puis j’ai rencontré Catherine Camus. Elle m’a donné sa confiance, et tout s’est débloqué. Pour Giono, ça a été un peu différent. C’est une proposition qui m’a été faite au départ par le service culturel de la ville de Manosque. J’ai sauté dessus tout de suite. Et Le chant du monde m’est apparu comme une évidence, car c’est un roman très rythmé, un récit d’aventure. J’avais été très marqué par cette œuvre lorsque je l’ai lue à 16 ou 17 ans, pour cet aspect très épopée, très western. J’avais été touché par les personnages également. Et puis j’ai vu à l’époque le film qui a été réalisé à partir de ce roman qui n’était pas la version que voulait Giono. Les paysages étaient grandioses.
Lorsque j’ai commencé à travailler sur ce projet, j’ai découvert que Giono avait aussi écrit un scénario pour adapter son roman au cinéma. Il voulait le réaliser lui-même, ce qui n’a pas été fait. Dans ce scénario il y avait des éléments que l’on retrouve dans le roman et d’autres, des indications de lieux pour certaines scènes par exemple. Giono avait faire ses propres repérages. Je m’en suis beaucoup servi. C’était important pour moi de m’attacher à la version que Giono avait imaginé d’un point de vue visuel.
Comme Giono dans son scénario, vous avez modifié un peu la narration et l’ordre du récit.
C’est une question que je me suis posé car dans le roman, le lecteur obtient l’information en même temps que les personnages. C’est une quête, celle de deux personnages qui cherchent quelqu’un qui a disparu. Le lecteur n’en sait pas plus que les personnages. Dans le scénario, Giono commence tout de suite par une scène très cinématographique, où l’on voit ce personnage que tout le monde cherche en train de s’échapper avec une femme, poursuivis par des hommes lourdement armés. Et puis la 2e séquence du film que Giono avait imaginé commence comme le roman. Je me suis demandé si je gardais cette scène en ouverture, ou si je m’en tenais au roman très linéaire. J’ai finalement gardé le principe de narration voulu par Giono pour son film.
Quand on rentre à l’intérieur de la caravane, on rentre dans votre fabrique, on voit un peu comment vous avez travaillé. On découvre que vous êtes parti choisir les scènes de décors de la BD avec un grand carnet toilé sous le bras…
Je travaille toujours de la même manière. Il y a d’abord le travail de préparation, autour du récit, des personnages, à partir de croquis. Il y a une phase très importante qui consiste à reprendre le texte pour savoir comment on va le transformer en BD, combien de pages ça va prendre, quelles séquences on va garder, qu’est-ce qu’on va éliminer, condenser… Tout ça se met en place peu à peu avec l’imprégnation aussi dans les paysages. Autour de chez moi, près de Nice, il a des paysages un peu analogues à ceux de l’univers de Giono. Mais j’avais aussi besoin d’aller à la source, le long de la Durance, ce fleuve jamais cité dans le roman, de voir la diversité des paysages entre la région de Manosque d’où partent probablement les personnages et ce pays de montagne situé probablement entre la Haute Durance, l’Ubaye et le Verdon. Je me suis beaucoup baladé à pied, sur les pas de Giono, à différentes saisons, ce qui m’a nourri. Peu à peu je me suis imprégné de ce paysage, de ce décor. J’ai fait tout un travail de repérage que l’on voit bien dans le film documentaire de Michel Viotte, qui m’a accompagné pendant à peu près un an. L’idée de ce film dont on peut voir des extraits dans la caravane était de montrer ce que représente la réalisation d’une bande dessinée, de A à Z.
Vous dites souvent que dans ce travail d’adaptation, vous êtes plutôt Hergé que Jacob, Tintin que Jack et Mortimer… C’est-à-dire ?
Quand on est face à un texte, il y a évidemment toute la puissance narrative, la puissance du style, de l’auteur, qui passe par l’écriture proprement dite. En travaillant sur une adaptation en BD, la question qui se pose est de savoir si on garde des fragments du texte tels quels, en les faisant circuler au-dessus des images comme une espèce de voix off. Ça c’est plutôt la veine de Jacob : des vignettes avec beaucoup de texte qui viennent décrire ce que le lecteur est déjà en train de voir, parfois même paraphraser ce qui est dit dans les dialogues. Dans Hergé, il n’y a que du style direct, avec de temps en temps un petit « cependant », « le lendemain » … C’est très minimaliste. Le reste, c’est la situation, les personnages, les dialogues. Pour moi c’est ça la BD. Quand j’ai à faire à un poète comme Giono, je sais que je vais devoir couper dans le texte et ne pas garder les descriptions absolument oniriques qui font évidemment aussi la force du roman. Malgré tout, cette écriture, ce verbe de Giono est présent dans les dialogues. Giono, c’est un magnifique inventeur de langue. Cette langue, elle passe à travers les personnages, dans la manière dont ils s’expriment. Il y a beaucoup de scènes dialoguées à l’état naturel dans les livres de Giono, et c’est plutôt ça que j’ai gardé, essayant de combiner le texte et l’image au mieux.
Propos recueillis le 10/02/2020 au cours d’une rencontre avec Jacques Ferrandez organisée au Mucem.